La dernière fois que je l’ai entendu, je n’ai pas dû y faire attention, on fait attention aux premières fois, à toutes les premières fois, on les attend en tremblant, en espérant, mais les dernières fois, les dernières fois on ne les sait pas, on ne les connaît pas, on ne les pleure pas, on ne sait rien, on traverse les choses, inconscients, inconscients de soi, de tout, la dernière fois qu’on serre sa main, la dernière fois qu’on prend sa main, on n’en sait rien, on devrait la retenir, la réchauffer, la reprendre, mais non, on n’en sait rien. On fait encore une fois comme si de rien n’était. Comme si de rien n’était, on se glisse, sans même gémir, dans le néant de soi.
Je ferme les yeux et je l’entends, ce bruit, ce bruit de cours d’école, quand l’ai-je entendu pour la dernière fois ? Je n’en sais rien, je l’entends, je me souviens, des joues en feu, des disputes, des bousculades, je m’en souviens bien, les cheveux tirés des filles qui m’agaçaient, les bonbons échangés loin des adultes, les secrets chuchotés, les racines des grands arbres, les feuillages, immenses, frissonnants au dessus de nous, ponctuant le ciel, calmes et les nuages qui passaient, ombres fluides dans les regards transparents.
Je ferme les yeux. Ai-je seulement eu un pincement au cœur la dernière fois que je l’ai entendu ? Je partais. L’avenir était ailleurs, loin, neuf, ouvert, du moins, le paraissait, avait des goûts étranges et attirants, je n’en ai rien su. Rien. Et puis un soir, dans un aéroport, c’est ce bruit là qui me parvient, sur mon iPhone, envoyé par l’enfance, envoyé de l’enfance, venu d’elle, toute entière. Intacte. Sans que je m’y attende. Choc en plein cœur chuchoté dans le secret à mon oreille.
Je me souviens des tabliers qui recouvraient nos robes, des chaussettes dégringolantes, des écorchures au genou, les passagers embarquent, je vais peut-être devoir partir, sans avoir tout convoqué, tout invoqué de la douceur de mon enfance, sans en avoir eu le temps, je ne savais même pas que je l’avais quittée, et un jour elle était finie, lentement, on a sombré, elle et moi, on s’est quittés. J’ai oublié où je vais, je crois, je ne sais plus le lieu de ma correspondance, ici ou ailleurs, qu’est-ce que ça change ? Les grands arbres de la cour ne sont plus. Je me souviens encore, des barrettes dans les cheveux bouclés, des tartines emportées sur le chemin de l’école, les doigts un peu poisseux qui sont délicieux même loin dans la matinée, je me souviens des marrons lisses et des jeux interminables auxquels ils suffisaient amplement, immensément, infiniment. Et de tout cet infini là.
Maintenant que le temps passant est en train de me faire perdre ma substance, il reste au moins ce son contre mon oreille, et les larmes qui coulent. C’est tout ce qu’il reste de cet autrefois.
Texte : Isabelle Pariente-Butterlin
Son : Louise Imagine
« Le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d’un autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les échanges, les invitations. Circulation horizontale pour produire des liens autrement… Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre. » Vases Communicants
Isabelle Pariente-Butterlin m’a fait l’immense plaisir d’accueillir sur son site ma participation à ces Vases Communicants de juin 2011.
Et pour ne rien manquer de ces beaux échanges ce mois-ci :
Nicolas Bleusher et Christopher Selac
Martine Sonnet et Urbain trop urbain
Anita Navarrete-Berbel et Brigitte Célérier
Céline Renoux et Christophe Sanchez
Franck Thomas et Guillaume Vissac
Cécile Portier et Pierre Ménard
Franck Queyraud et Loran Bart
Anne Savelli et François Bon
Carine Perals-Pujol et Joachim Séné
Maryse Hache et Laurence Skivée
Chez Jeanne et Xavier Fisselier
Le roi des éditeurs et Nicolas Ancion
Kouki Rossi et Jean Prod’hom
Michel Brosseau et Jacques Bon
Christine Jeanney et Christophe Grossi
Caroline Gérard et Juliette Mezenc
Ghislaine Balland et Dominique Hasselmann
Piero Cohen-Hadria et Conte de Suzanne
toute fort poésie de l’enfance qui remonte